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Les livres dans la recherche en SHS. Introduction à la table ronde
Abstract
Evaluation of Social Sciences and Humanities in Europe. Hcéres Colloquium Proceedings - Paris IAS, 16-17 May 2022 Session 1 "Books and Monographs" - Introduction

L’évaluation a une importance fondamentale dans l’activité scientifique, puisqu’elle oriente l’attribution des ressources, des carrières, et la publication. Et ce de plus en plus. Si nous voulons un pilotage de la recherche qui ne soit pas arbitraire, la réflexion critique sur notre activité est indispensable, il nous faut des méthodes d’évaluation.

Pourtant, nous sommes tous conscients que le système actuel a des biais et des effets pervers, notamment avec l’abus du recours aux méthodes quantitatives. Celles-ci ont été une réponse à la croissance en volume de la recherche, également à un désir d’objectivation et de transparence. Mais elles ont atteint leurs limites et deviennent parfois même contre-productives, particulièrement en Sciences Humaines et Sociales. Il faut donc faire évoluer le système, vite.

C’est pourquoi l’initiative du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCÉRES) de réunir les meilleurs experts de l’évaluation pour réfléchir à ces questions, dans le cadre de la Présidence Française de l’Union Européenne, est très importante.

Nous sommes heureux que le HCÉRES ait choisi l’Institut d’études avancées de Paris pour accueillir ces débats. L’IEA de Paris est un lieu d’intelligence collective, international et interdisciplinaire. Il accueille les grands esprits et crée les conditions pour que de la discussion émergent collégialement des idées nouvelles.

Cette session porte sur l'évaluation des ouvrages en SHS. La compétition accrue dans le domaine scientifique a amené une prolifération des publications, et celle-ci a été préjudiciable aux ouvrages, qui se produisent moins vite et pourtant ne comptent pas plus, voire moins, dans la métrique de citations. Il y a ici une analogie à faire avec la dérive fisherienne en biologie (fisherian runaway, décrite par le biologiste Ronald Fisher). La sélection naturelle favorise les individus qui ont un avantage reproductif, leurs caractères devenant finalement majoritaires dans la population considérée. Or, si on pense en général aux capacités d'adaptation à l'environnement comme avantage sélectif (par exemple, courir vite), une grande capacité de reproduction joue également. C'est ce qui explique que le Paon (genres Pavo, Afropavo) aie une queue colorée si grande et spectaculaire. Bien que celle-ci le gêne pour voler et en fasse une proie facile, lors des parades elle attitre les femelles. Les mâles qui ont de longues et belles plumes attirent plus les femelles et se reproduisent plus (sélection sexuelle): on a donc une espèce moins efficace au total, mais qui continue à se reproduire. Les femelles ont d'ailleurs intérêt à choisir les mâles avec les plus belles plumes puisque leurs fils hériteront du même avantage sélectif ("sexy son hypothesis"). Sans vouloir pousser l'analogie trop loin, on comprend que les auteurs de publications scientifiques qui ont une stratégie permettant d'être beaucoup cités (stratégie de reproduction maximale) domineront la littérature tant que le système de sélection sera basé sur ce critère. Les livres sont désavantagés dans cette compétition: plus longs à écrire, plus difficiles à publier, plus difficiles d'accès, plus longs à lire... et donc mécaniquement moins cités. Pourtant, dans les SHS en particulier, la monographie est un élément essentiel pour le travail de fond; par ailleurs certains travaux (notamment les méthodes qualitatives qui nécessitent une description longue des contenus empiriques) se prêtent mal à la forme courte. Comment éviter la dérive fisherienne dans les mécanismes de sélection scientifique, et en particulier lors de l'évaluation? Et comment mieux prendre en compte la diversité des productions, que la numérisation a multipliée (blogs, vidéos, etc.) C'est ce que cette table ronde a examiné, en partant du cas du livre.

Une fois de plus, l’intelligence collective a été productive, rapidement : les conclusions moissonnées le jour même par le groupe de travail des animateurs de sessions sont parues le mois suivant. Cette réactivité, à mettre au crédit de l’HCÉRES, et notamment de Jacques Dubucs qui a monté ce Colloque, nous rappelle que la science, pour servir la société, doit savoir travailler dans le temps court et collaboratif en même temps que dans le temps long (individuel et collectif) -qui reste indispensable.

En ce qui concerne le livre, la première des recommandations issue du colloque appelle, précisément, à prendre en compte la diversité des productions, et à en faciliter l'accès en accès ouvert. Mais les communications qui suivent vont bien au delà de cette simple recommandation.

5/16/2022